Tristesse du monde et tristesse selon Dieu.
Voilà ce que notre esprit nous a dit au nom des défunts, en empruntant autant que possible leur voix pour nous répondre. Quant à nous, concluons par la parole du grand Paul nos conseils aux personnes accablées par le deuil : “Je ne veux pas, frères, que vous soyez dans l'ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort, afin que vous ne soyez pas attristés comme les autres, qui n'ont pas d'espérance” (1 Thes. 4,13)[43].
Donc, si nous avons reçu un enseignement digne d'intérêt sur les morts, par les développements philosophiques que notre discours a fournis à leur sujet[44], n'acceptons plus cette tristesse-là, qui est basse et servile, [67] mais s'il faut être attristés, choisissons cette tristesse qui est louable et vertueuse. Car de même que le plaisir est tantôt bestial et irrationnel, tantôt pur et immatériel, de même l'opposé du plaisir se divise en vice et en vertu. Il existe donc aussi une forme de deuil que l'on peut considérer comme heureux (cf. Mat. 5,4) et qu'il ne faut pas rejeter si l'on veut acquérir (cf. 1 Tim. 4,4) la vertu; c'est le contraire de cet abattement qui est irrationnel et servile. En effet, celui qui a connu ce dernier se reprochera par la suite avec regret d'avoir été entraîné au-delà de ce qu'il convient [45], dès lors que la passion eut sur lui le dessus; au contraire, le deuil dit heureux (cf. Mat. 5,4) revêt un air sombre qui ne contient ni regret (cf. 2 Cor. 7,10) ni honte pour ceux qui, grâce à lui, accomplissent une vie vertueuse. Car on est vraiment en deuil lorsque l'on perçoit ces biens que l'on a perdus par sa chute, et que l'on compare cette vie périssable et souillée à cette béatitude intacte dont on jouissait librement avant que l'on fasse de la liberté mauvais usage, en voyant que plus le deuil pèse pour une vie telle que celle-ci, plus vite on acquiert les biens que l'on désire. De fait, la perception de la perte de la beauté suscite un zèle ardent pour les biens désirés.
Puisqu'il existe aussi un deuil salutaire, ainsi que notre discours l'a offert en exemple, comprenez donc, vous qui êtes facilement portés à la passion de la tristesse, que nous ne condamnons pas la tristesse, mais que nous vous conseillons celle qui est bonne, plutôt que celle que nous blâmons. Ne vous attristez donc pas de “la tristesse du monde, qui produit la mort” (2 Cor. 7,10), comme le dit l'Apôtre, mais de “la tristesse selon Dieu” (2 Cor. 7,10), dont la fin est le salut de l'âme [46]. Car les larmes versées au hasard et en vain sur les morts peuvent même entraîner la condamnation de [68] celui qui gère mal ce qui est utile. De fait, si "Celui qui a fait l'univers avec sagesse" (Ps. 103,24) a fixé dans notre nature cette disposition à la tristesse, afin qu'elle nous purifie du péché qui nous dominait auparavant et soit un viatique qui permette d'avoir part aux biens espérés, peut-être celui qui pleure en vain et inutilement sera-t-il accusé par son propre Maître comme, dans l'Évangile (cf. Luc 16,1sq), le mauvais intendant qui a dilapidé inutilement la richesse qui lui avait été confiée; car tout ce qui est utilisé en vue du bien est une richesse qui est comptée parmi les plus précieux des trésors.
Source : gregoiredenysse.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde