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| Sujet: Turquie en Europe : le coût du mépris Ven 07 Oct 2005, 18:37 | |
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- Turquie en Europe : le coût du mépris
(Photo B. Petit/ Madame Figaro) Ivan Rioufol (irioufol@lefigaro.fr) [07 octobre 2005]
Récapitulons. Les Européens, dans leur majorité, ne veulent pas de mariage avec la Turquie. Ils entendent, en effet, préserver leur culture. Les Français l'ont dit, le 29 mai, en rejetant une Union sans frontières. Ils le confirment dans les sondages. Celui de la Sofres, diffusé lundi, montre qu'ils sont 42 % (contre 26 %) à penser que leur identité est davantage menacée que protégée par Bruxelles. Difficile d'être plus clair. C'est pourquoi les fiançailles avec Ankara, imposées lundi par les Vingt-Cinq, sont une insulte à la démocratie.
L'Union va à sa perte en répugnant à écouter les électeurs et à analyser le réveil national qui s'observe dans les pays membres, en réaction à la mondialisation. La pensée conforme insinue que le libre marché aura raison de cette crise existentielle. La gauche française avait tenu un discours approchant, dans les années 90, en assurant que les violences des cités disparaîtraient sous l'effet de la reprise économique et des créations d'emplois. Une «naïveté» dont Lionel Jospin allait faire l'aveu en 2002.
Une fois de plus, l'angélisme des dirigeants se heurte à la clairvoyance des citoyens. En invitant la Turquie à rejoindre une association à buts lucratifs, les élites espèrent conjurer le choc des civilisations dont elles brandissent la menace. Mais où ont-elles vu que la Turquie, musulmane à 99%, était prête à renoncer à son identité ? «Il n'y a pas de liberté religieuse et les chrétiens sont considérés comme des citoyens de deuxième catégorie», a rappelé, mardi, le cardinal Paul Poupard, membre de la Curie.
Qui ose dire ces vérités sur les religions parias et les minorités brimées (1) ? Vienne – qui sut résister à l'expansion ottomane aux XVIe et XVIIe siècles – a bien tenté de se faire l'avocat de l'opinion, en réclamant pour Ankara un «partenariat privilégié» plutôt qu'une pleine adhésion. Pourtant, aucun pays n'est venu au secours de la courageuse Autriche, qui a dû capituler lundi devant une Turquie impériale, soutenue par les Etats-Unis.
Cependant, les gouvernés se désespèrent d'être ainsi méprisés. Ce que confirme la Sofres, qui décrit leur grand désenchantement – à commencer par celui des Français, au coeur de la construction – face à cette Union prête à brader sa propre civilisation. Aujourd'hui, c'est au peuple lui-même qu'il revient de sauver l'Europe et son histoire : il est le seul à oser défendre ce qui reste d'âme européenne.
Club musulman
L'Europe actuelle saura-t-elle imposer ses valeurs à la Turquie ? Improbable. En effet, l'Union s'est montrée incapable d'exiger, en préalable à l'ouverture des négociations en vue d'une adhésion, que le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, reconnaisse Chypre, pourtant membre de l'UE, et le génocide arménien : conditions avancées naguère par le Parlement européen. Ce recul, ajouté aux sarcasmes d'Erdogan dénonçant en l'Union un «club chrétien» sans que personne ose lui rappeler la propre appartenance de son pays à l'Organisation de la conférence islamique, «club musulman» s'il en est, donne une idée des molles convictions des représentants européens.
«Si, dans un mouvement d'humeur un peu léger, on dit «ils ne sont pas européens, qu'ils s'en aillent», qui vous dit que cet ensemble ne basculera pas demain dans l'intégrisme ?», a fait valoir Jacques Chirac mardi. Mais cette incertitude vaut justement pour l'Europe. Qui peut assurer que la Turquie «européenne» aura renoncé à l'islamisme, même «modéré» ? La menace du fondamentalisme, qui plane notamment sur les pays du Maghreb, obligera-t-elle à faire entrer le Maroc, l'Algérie ou la Tunisie dans l'Union ?
En réalité, se retrouve cette fascination qu'exerce l'islam, et son prosélytisme, sur les dirigeants occidentaux – à commencer par Jacques Chirac et Dominique de Villepin – qui n'ont de cesse de vouloir ouvrir l'Europe à ses influences. Mais ce qu'ils croient être le prix à payer pour sa tranquillité risque de dénaturer l'«Europe européenne» et d'accélérer sa balkanisation. Des processus de ghettoïsation s'observent dans les pays qui, comme la France, connaissent une forte immigration musulmane. Les gens le voient, le disent, le déplorent. En vain.
«Ecouter les Français»
Les dirigeants, il est vrai, n'entendent que ce qui les arrange. Quand Chirac déclare mercredi : «Il est absolument indispensable d'écouter l'ensemble des Français», après la démonstration sociale de mardi, on ne peut que regretter que leur vote du 29 mai– qui faisait suite à celui du 21 avril 2002 – ait été ignoré dans l'affaire turque. Même le Parlement n'a pas eu son mot à dire avant l'ouverture des négociations. Cette semaine, les Français ont été, une nouvelle fois, invités à se reconnaître dans les traditionnelles processions syndicales de la fonction publique. Mais ces représentations d'un mécontentement, agréées par le gouvernement, ne mettent en scène qu'une partie des malaises de la société. Le chômage n'est certes pas le moindre des maux. Il n'est pas le seul. Il suffit, en effet, d'écouter les Français...
Bon sens
Commentaire d'un groupe de travail du Commissariat au Plan, dévoilé par Le Figaro lundi : il est inutile d'appliquer des quotas d'immigration en fonction d'emplois offerts en France, car les «réserves d'actifs» existent déjà dans le pays, qui comptabilise 10% de chômeurs et trop de préretraités. Cette conclusion rassure : tous les experts n'ont pas renoncé au bon sens.
* irioufol@lefigaro.fr
(1) Lire Alexandre Del Valle, Emmanuel Razavi, Le Dilemme turc, Editions des Syrtes.
Source Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/debats/20051007.FIG0172.html?152845 | |
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