CHAPITRE IX. du PROSLOGION de SAINT ANSELME
Mais comment pardonnez-vous aux méchants, si vous êtes juste, souverainement juste ? Comment, étant juste, souverainement juste, faites-vous une chose contraire à la justice ? Ou bien, commençant est-il conforme à la justice de donner la vie éternelle à ceux qui mérite l'éternel supplice de l'enfer ? D'où vient donc, ô mon Dieu, vous dont la bonté infinie s'étend sur les bons et sur les méchants. D'où vient que vous sauvez les coupables, si leur impunité blesse la justice et si vous ne faites rien qui ne soit juste? Est-ce parce que votre bonté est immense, infinie, et le secret de votre Miséricorde* se dérobe-t-il à nos yeux dans cette lumière inaccessible qui vous environne ? Oui, Seigneur, la source d'où découle le fleuve de votre Miséricorde* est cachée dans les profondeurs mystérieuses de votre bonté. Sans doute, vous êtes juste, souverainement juste ; mais vous faites grâce aux méchants, parce que vous êtes bon, souverainement bon. Votre bonté serait moins grande si vous ne pardonniez point aux coupables; elle se manifeste avec plus d'éclat en s'étendant sur les bons et sur les méchants qu'en se bornant aux bons ; et le juge dont la sévérité est tempérée par l'indulgence vaut mieux que celui qui sait punir, mais ne sait point pardonner. Vous êtes donc Miséricordieux,* Seigneur, parce que vous êtes souverainement bon. Cependant le secret de votre Miséricorde* n'est pas encore dévoilé. Nous voyons, il est vrai, pourquoi vous récompensez la vertu, pourquoi vous punissez le crime, mais ce qui doit nous étonner, ce qui doit sembler incompréhensible, c'est qu'étant souverainement juste et tout-puissant, vous faites grâce aux coupables, vous les comblez de vos bienfaits.
Ô profondeur de la bonté divine ! Notre raison, Seigneur, entrevoit vaguement l'origine de votre Miséricorde*; mais elle ne peut s'expliquer à elle-même cette origine mystérieuse. Nous apercevons l'endroit d'où le fleuve s'écoule ; nous pouvons dire : La source est ici ; mais comment le fleuve sort-il de cette source cachée ? Nous l'ignorons. Votre indulgence pour les coupables naît de la plénitude de votre bonté; mais comment en naît-elle sans porter atteinte à votre justice ? C'est un secret caché dans les profondeurs de cette bonté incompréhensible. Quand vous récompensez la vertu et que vous punissez le crime, vous faites un acte de bonté, sans doute ; on peut croire pourtant que vous faites surtout un acte de justice, mais quand vous comblez les méchants de vos bienfaits, nous sommes forcés de reconnaître qu'une pareille indulgence n'appartient qu'à un être souverainement bon, et de demander en même temps comment elle peut s'accorder avec la volonté d'un être souverainement juste. Ô Miséricorde* Divine*, de quelle source féconde, mystérieuse et pleine de douceur tu jaillis pour te répandre sur nous ! Ô bonté divine, de quel amour les pécheurs doivent t'aimer ! Tu récompenses la vertu avec justice, tu fais grâce au coupable sans cesser d'être juste. Tu donnes la vie éternelle aux bons à cause de leurs mérites, tu délivres les méchants de la damnation éternelle malgré leurs mérites ; tu récompenses la vertu qui vient de toi, tu pardonnes le mal que tu détestes. Bonté divine ! Que tu es immense, puisque la raison humaine ne peut te mesurer. Puisses-tu épancher sur moi les ondes de la Miséricorde*, ces ondes salutaires dont tu es la source inépuisable. Ô mon Dieu, que votre clémence me pardonne ; que votre sévérité vengeresse ne s'arme point contre moi. Vous pouvez être clément, Seigneur, sans cesser d'être équitable.
Oui, bien que notre faible raison ait de la peine à comprendre comment votre Miséricorde* ne blesse point votre justice, nous sommes forcés de croire que votre clémence est d'accord avec votre équité, parce qu'elle est un effet de votre bonté souveraine, et que la bonté ne peut exister sans la justice, qui en est la condition nécessaire. Si votre Miséricorde* n'est qu'un effet de votre bonté souveraine, et si la grandeur de votre bonté n'est qu'un effet de la grandeur de votre justice, il est donc vrai de dire que vous êtes clément, parce que vous êtes souverainement juste. Éclairez mon esprit, Dieu de justice et de Miséricorde* dont je cherche la lumière ; éclairez mon esprit, afin que je puisse voir la vérité. Vous êtes clément, parce que vous êtes juste; votre Miséricorde* est-elle donc un effet de votre justice? Est-ce donc par équité que vous faites grâce aux méchants ? S'il en est ainsi, Seigneur, s'il en est ainsi, apprenez-moi comment cela peut être. Est-ce que votre justice, pour être complète, a besoin que votre bonté soit infinie, votre puissance sans bornes? Oui, Seigneur; et il manquerait quelque chose à votre équité, si votre bonté, se bornant à récompenser la vertu, ne pardonnait pas aussi au coupable ; si votre puissance, se bornant à ranimer l'amour du bien dans les âmes indifférentes, ne détruisait aussi l'amour du mal dans les âmes corrompues.
Voilà comment il est juste que vous pardonniez aux méchants, que vous les forciez à devenir bons. Enfin, ce qui n'est pas conforme à l'équité ne doit pas être fait, et ce qui ne doit pas être fait est injuste. Si donc il n'est pas conforme à l'équité que vous fassiez grâce aux méchants, vous ne devez point être indulgent pour eux ; si vous ne devez point être indulgent pour eux, c'est injustement que vous leur faites grâce. Mais c'est un blasphème de supposer que vous puissiez faire une chose injuste ; nous devons donc croire qu'il est juste que vous fassiez grâce aux méchants.
Source : mecaniqueuniverselle.net/textes-philosophiques/saint-Anselme-1.php
IXème centenaire de sa mort
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Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde