XVIII. Le véritable service de Dieu
Extrait du Traité de la vie spirituelle de Saint Vincent Ferrier
Les religieux ne sont pas appelés à une perfection autre que celle des chrétiens. On peut être saint dans n'importe quel état de vie. Et dans chaque état de vie des degrés différents de perfection sont possibles, correspondant à ce qu'on appelle communément : la vie de purification initiale, la vie illuminative et la vie unitive. L'échelle de perfection que donne saint Vincent Ferrier doit être pensée dans cette perspective. Nous donnons le texte de saint Vincent Ferrier, et le faisons suivre d'une brève explication, d'une pratique, et d'un renvoi à des chapitres de L'Imitation de Jésus-Christ.
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Vie de perfection initiale.
1. TEXTE
Quinze perfections sont nécessaires à celui qui veut se consacrer entièrement au service de, Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la vie spirituelle.
La première, une claire et parfaite connaissance de ses propres défauts et manquements.
Explication - La connaissance de soi est une condition préalable à l'humilité. Me demander : qui suis-je ? N'est donc pas une question vaine. Il y a en moi un ami du bien, mais il y a aussi un être d'orgueil, de sensualité, de violence, de paresse, de mensonge, de duplicité, etc. Connaître mes limites et pleurer mes misères, c'est le principe du salut.
Pratique - Les âmes fortes essaient de se connaître pour se conduire. Comment identifier mon âme avec ce qu'il y a en elle de meilleur et de pire ? Par le recueillement, l'examen de conscience, la confession, la correction fraternelle.
« Veille sur toi-même, dit l'Apôtre, et mets-y de la constance. Ce faisant, tu te sauveras ». (I Tim., 4, 16).
Renvoi - Des humbles sentiments qu'il faut avoir de soi-même. Liv. I, ch. 2. De la considération de soi-même. Liv. II, ch. 5.
2. TEXTE
La seconde perfection est une ardente et persévérante résistance aux mauvaises inclinations, aux désirs et passions contraires à la raison.
Explication - Nous avons tous notre naturel et nos penchants. Qu'ils pèsent parfois sur nous et nous troublent de leurs sollicitations, n'est pas encore une faute. Servir Dieu, ce n'est pas n'éprouver jamais l'aiguillon de la chair, mais le contrôler ou le dominer.
Pratique - Peu importe mon naturel et le poids de ses penchants. L'homme spirituel peut obtenir la libération sur ce qui l'opprime en eux.
Renvoi - Des moyens d'acquérir la paix et du zèle pour notre avancement. Liv. I, ch. Xl. De la manière de se former à la patience et de la lutte contre les passions. Liv. III, ch. XII.
3. TEXTE.
La troisième perfection est une vive crainte des péchés commis depuis qu'on est au monde, parce qu'on ne sait point si l'on a satisfait par une pénitence suffisante ni si l'on est rentré en grâce avec Dieu.
Explication - La profondeur de cette formule ne se comprend que si l'on possède le sens du péché. Une fois Dieu trouvé ou retrouvé par le pardon, celui qui veut être parfait ne cesse de regretter ses fautes. C'est qu'effectivement il a offensé Dieu et reste affolé de ce qu'il a fait.
Pratique - La contrition est un climat du cœur. On le trouve chez les convertis repentants qui sans cesse crient : « Seigneur, vous ne rejetterez point un cœur contrit et humilié ». (Ps. IV)
Renvoi- Il faut marcher devant Dieu dans la vérité et l'humilité. Liv. III, ch. IV.
4. TEXTE.
La quatrième perfection est une grande frayeur que notre fragilité ne nous fasse retomber dans les mêmes désordres et peut-être dans de plus graves.
Explication - Il est d'autant plus nécessaire de se remémorer notre fragilité que notre temps paraît l'ignorer tragiquement. Le culte de la jouissance, du bien-être, tend à pourrir les hommes et les expose inévitablement à des désordres irréparables. Le moyen à notre portée pour nous préserver des chutes futures est de nous enraciner dans une sainte et filiale crainte de Dieu.
Pratique - Il y a des petites choses qui sont grandes. On est un homme spirituel quand on sait découvrir cet aspect de grandeur dans des choses en apparence minimes. Quand on tâche d'éviter d'offenser Dieu en de petites choses. La chasse au péché véniel tient de là sa noblesse.
Renvoi- Il faut considérer les secrets jugements de Dieu, afin de ne pas s'enorgueillir de ses bonnes œuvres. Liv. III, ch. XIV.
5. TEXTE.
La cinquième perfection est de tenir sous une forte discipline et une sévère surveillance les sens extérieurs, afin que le corps soit soumis à l'âme pour le service de Jésus-Christ.
Explication - La vie parfaite suppose d'incessants renoncements : mortification dans les choses même permises. Les sacrifices consentis surnaturellement assouplissent l'âme.
Pratique - Ne pas donner satisfaction aux désirs de la chair, car les désirs de la chair sont contraires à ceux de l'esprit. « Ceux qui appartiennent au Christ Jésus ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises. Si nous vivons par l'esprit, suivons aussi l'esprit ». (Galates, V, 25).
Renvoi - Du chemin royal de la sainte Croix. Liv. II, ch. XII.
6. TEXTE.
La sixième perfection est une grande force et une vaillante patience dans les tentations et les épreuves.
Explication - De temps à autre la souffrance nous touche : un malaise, une adversité, une infirmité, une ruine, un deuil. Quelle grâce, si nous voulons voir Dieu dans l'épreuve !
Pratique - Ne pas se révolter ni crier à l'injustice. « Souffrir est une courte souffrance ; avoir souffert est une longue joie ». (Henri Suzo).
Renvoi- On n'est jamais, en cette vie, à l'abri de la tentation. Liv. III, ch. XXXV. De l'utilité des contrariétés, ibid. ch. XII. De la résistance à la tentation, ibid. ch. XIII.
7. TEXTE.
La septième perfection est la fuite courageuse de toute personne et de toute créature qui pourrait être cause ou occasion de péché, ou seulement de quelque imperfection et de quelque affaiblissement dans la vie spirituelle. Évitons ces personnes comme nous fuirions le démon.
Explication - Le monde est « livré à la malice », dit saint Jean, et l'homme spirituel constate chaque jour que les relations humaines distraient si facilement notre cœur de Dieu. Il faut donc éviter les relations qui peuvent diminuer la ferveur de l'esprit.
Pratique - « Le ciel est autour de nous comme l'atmosphère autour de l'enfant au sein de sa mère. Si nous ne l'habitons point, comme le veut l'Apôtre, ce n'est pas question de distance, c'est question d'état. Un état d'âme libéré, purifié, surélevé par rapport aux préoccupations terriennes : c'est tout ce qui manque à notre vie selon l'esprit ». (Sertillanges).
Renvoi - Laisser toute créature afin de pouvoir trouver le Créateur. Liv. III, ch. XXXI.
Accès à la vie illuminative.
8. TEXTE.
La huitième perfection est de porter la Croix de Jésus-Christ qui a quatre branches : celle de la mortification des vices, celle de l'abandon des biens temporels, celle du renoncement aux affections charnelles de parents et amis, et finalement celle du mépris et de l'abnégation de soi-même.
Explication - Ces quatre bras doivent détruire les quatre principales causes de l'aveuglement spirituel, à savoir : les passions, l'intérêt, l'affection désordonnée des parents et l'amour-propre déréglé.
Pratique - La pauvreté selon 1'esprit est faite d'un renoncement du cœur.
Renvoi- La grâce de Dieu ne se communique pas à ceux qui ont le goût des choses de la terre. Liv. III, ch. LIII.
9. TEXTE.
La neuvième perfection est un souvenir prolongé et permanent des bienfaits reçus de Dieu jusqu'à ce jour.
Explication - Ces bienfaits sont nombreux : biens du corps, biens de l'âme, biens de l'esprit, don de la foi, avertissements providentiels, promesses de bonheur, etc.
Pratique - Vivre en action de grâces. Beaucoup de chrétiens prient pour demander, c'est bien. Mais après avoir tant reçu, ne faudrait-il pas remercier ? Hilarem datorem diligit Deus. Donnons-Lui notre gratitude.
Renvoi - Du souvenir des innombrables bienfaits de Dieu. Liv. III, ch. XXII.
10. TEXTE
La dixième perfection est de persévérer dans la prière jour et nuit.
Explication - La prière c'est le contact avec Celui qui sera notre vie permanente. Cette vie, déjà commencée ici-bas, s'entretient par la prière de tous les instants, que ce soient des prières vocales, des oraisons jaculatoires, des pensées affectueuses.
Pratique - Il est très facile de se tourner vers Dieu et de penser à Lui. Là où est notre pensée, là aussi est notre amour.
Renvoi - Celui qui aime Dieu le goûte en tout et par-dessus tout. Liv. III, ch. XXXIV. De l'amour de la solitude et du silence. Liv. I, ch. XX.
La voie des parfaits.
11. TEXTE.
La onzième perfection consiste à savourer et à désirer continuellement les suavités divines.
Explication - L'âme est arrivée au stade du saint amour de Dieu. Cet amour de Dieu n'est pas une petite chose. Il ne s'agit pas seulement d'avoir des élans d'amour et de pousser des soupirs, mais d'un amour à la fois affectif et effectif.
Pratique - L'amour est le vrai levier des âmes comme l'auteur de l'imitation l'a mis en relief dans :
Renvoi - Des merveilleux effets de l'amour divin. Liv. III, ch. V.
12. TEXTE.
La douzième perfection est un insatiable désir d'exalter notre sainte foi, c'est-à-dire de faire connaître, aimer et craindre le Christ Jésus par tous les hommes.
Explication - Celui qui aime Dieu désire spontanément Le voir connu, aimé et servi de tous, afin qu'ils jouissent également des suavités divines.
Pratique - Un zèle ardent et judicieux du salut des âmes.
Renvoi - Avec combien de respect il faut recevoir Jésus-Christ. Liv. IV, ch. I. Tendres et ardents désirs de Le recevoir. Ibid., ch. XVII.
13. TEXTE.
La treizième perfection est une Miséricordieuse compassion pour le prochain dans tous ses besoins et dans toutes les circonstances.
Explication - Aimer Dieu sans aimer le prochain est un mensonge. L'amour du prochain conserve et fortifie l'amour de Dieu. Tout ce qu'on fait pour le prochain par amour de Dieu, Dieu le regarde comme fait à Lui-même.
Pratique. - Toutes les œuvres de charité matérielle et spirituelle.
Renvoi- Il faut supporter les défauts des autres. Liv. I, ch. XVI. Éviter les jugements téméraires. Ibid., ch. XIV. Des œuvres faites pour un motif de charité. Ibid., ch. XV.
14. TEXTE.
La quatorzième perfection est de rendre toujours grâce à Dieu, de Le glorifier en toutes choses, et de louer sans cesse Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Explication - L'ingratitude dessèche le cœur. Nous sommes incomparablement plus redevables à Dieu qu'à nos semblables. La reconnaissance nous élève et nous obtient des grâces encore plus grandes.
Pratique - Imitons la Très Sainte Mère de Dieu qui, d'après Saint Antonin de Florence, avait toujours sur les lèvres ces douces paroles : Deo gratias.
Renvoi- Nous devons nous offrir à Dieu avec tout ce que nous avons et prier pour tous. Liv. IV, ch. IX.
15. TEXTE
La quinzième perfection enfin consiste, après avoir fait tout ce qui précède, à être persuadé qu'on n'a fait que bien peu, et à avouer du fond du cœur :
Seigneur Jésus, mon Dieu, je ne suis rien, je ne puis rien, je ne vaux rien. Je vous sers bien mal et je suis un serviteur inutile.
Explication - L'humilité est un grand art. Il élève celui qui le pratique. « Quiconque s'abaisse sera élevé », dit Notre-Seigneur.
Pratique - Ne pas se glorifier du bien qu'on fait, mais tout ramener à Dieu.
Renvoi. - Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de Jésus. Liv. II, ch. XI.
XIX Les cinq tercets de la vie spirituelle
En ce dernier chapitre, saint Vincent Ferrier condense en cinq tercets plusieurs avis utiles. Ce sont des maximes faciles à retenir.
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La pauvreté.
Il y a trois bases ou parties principales à la pauvreté évangélique pratiquée par les Apôtres :
1° Le renoncement effectif et sincère à ses droits, même les plus légitimes.
2° La modération dans l'usage des choses matérielles.
3° L'amour habituel de tout ce que la pauvreté exige dans la pratique.
L'abstinence.
L'abstinence se base sur trois points essentiels :
1° Affaiblir et énerver les désirs de la chair et ce que l'Écriture appelle le souci des besoins de la vie.
2° Ne s'inquiéter ni de la quantité ni de la qualité des aliments.
3° User avec sobriété de ce qui nous est présenté.
Ce qu'il faut fuir.
Nous devons éviter et fuir avec soin trois choses :
1° Hors de nous : la distraction extérieure qui est inséparable des affaires.
2° Au dedans : tout sentiment d'orgueil et d'ambition.
3° L'attachement excessif et déréglé aux biens de la terre, les sentiments trop humains pour nous-mêmes, pour nos proches ou pour notre Ordre.
Ce qu'il faut rechercher.
Nous devons particulièrement rechercher trois choses :
1° Le mépris de nous-mêmes et le désir d'être humilié et publiquement méprisé par les autres.
2° Une tendre compassion pour Jésus crucifié.
3° La disposition à souffrir toutes sortes de persécutions et l'acceptation même du martyre pour l'amour de Jésus-Christ et de la vie évangélique.
Voilà trois choses à méditer et à demander à Dieu tout le long du jour par des prières prolongées et accompagnées de gémissements et d'ardents soupirs.
Ce qu'il faut méditer.
Il y a trois choses qui doivent être l'objet principal de nos méditations :
1° Jésus-Christ dans son Incarnation, dans sa Passion et dans ses autres mystères.
2° La vie des Apôtres et celle des Saints qui ont vécu dans notre Ordre avec un vif désir d'imiter leurs vertus.
3° La vie que mèneront plus tard les hommes destinés à la prédication de l'Evangile.
Source : livres-mystiques.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde